La Bolivie


Magali :

Nous franchissons la frontière chilo-bolivienne au petit matin sous un temps radieux. Après un faux départ (1h30 d'attente suite à une panne de 4x4), nous partons enfin à la découverte du Sud-Lipez et de ses paysages étonnants. Tout commence par la "Laguna Verde". Pointe de la Bolivie, le bout du monde à plus de 4500 mètres d'altitude, avec en arrière-plan le volcan Licancabur. Derrière, c'est le désert d'Atacama... On se sent tout petit face à des vues si grandioses, au milieu de nulle part. Le vent souffle fort, ce qui rend l'atmosphère d'autant plus mystérieuse. Cependant, dans le 4x4, la chaleur se fait sentir. Nous faisons plus ample connaissance avec nos compagnons de route : 2 jeunes Anglais et un pasteur allemand vivant en Uruguay depuis 25 ans. Dans l'autre véhicule : 4 Allemands, 1 Finlandaise et 1 Basque. C'est intéressant d'observer la constitution d'un groupe. Au départ, on échange juste quelques mots, on se sourit, on se regarde les uns les autres, puis, au fil des heures et des jours, le clan se consolide pour former une unité à part entière, l'espace d un instant, et partager tous ensemble avec bonheur ce qui s'offre à nous...

C'est ainsi que nous poursuivons tous ensemble notre route vers la "Laguna Colorada", entourée de volcans, mythique, rouge comme le sang. Les algues microscopiques qui servent de nourriture aux flamants, réagissent à la lumière. Nous sommes dans la réserve de faune andine d'Eduardo Avaroa, créée en 1973. Puis se dévoile sous nos yeux ébahis le désert de Siloli : plateaux rouges, marrons, rien que des pierres. Copie conforme de certaines oeuvres de Salvador Dali. Entre imaginaire et réalité, on se laisse porter par ce spectacle incroyable. Quelques heures plus tard, nous arrivons à Uyuni avec l'orage. L'atmosphère est presque déprimante. Les rues poussiéreuses, bordées de déchets, des habitations bien délabrées... Des marchands ambulants, cireurs de chaussures et autres commerçants animent les rues. Ici, nous ne sommes plus au Chili ou en Argentine. La dureté de la vie se ressent davantage. Mais c'est l'image que j'avais de l'Amérique du Sud : ces femmes coiffées de chapeaux melon, vêtues de multiples jupons, aux visages tannés par le soleil et usés par le travail. Il y a aussi ces tissus colorés qu'elles portent sur le dos et dans lesquels dorment paisiblement de magnifiques enfants, malgré une agitation certaine.

La soirée se passera dans la gaieté. Diego donnera le ton avec sa guitare, tandis que tout le monde chantera dans sa langue maternelle. Le lendemain, nous partons pour le Salar d'Uyuni. A 3650 mètres d'altitude, cela en fait le plus grand désert de sel au monde. Sur 40 mètres d'épaisseur s'alternent couches de sel et de glaise. Horizon à l'infini, d'une "platitude" parfaite. Région complètement marginale qui fait la joie des touristes. Mais, dans cet enfer blanc, quelques centaines d'hommes creusent à longueur d'années pour dégager des briquettes de sel. Pieds et mains brûlés, rongés par le sel, ils sont payes une misère... Sans parler des maladies du goitre et du crétinisme qui frappent certains villages reculés des montagnes car le sel est dépourvu d'iode. C'est toujours un peu contradictoire de s'extasier devant des choses qui nous paraissent extraordinaires, en tant que touriste, alors que pour les locaux, c'est synonyme de souffrance ou de survie...

Ève et moi décidons de poursuivre un bout de chemin ensemble, direction Potosi. Les bus boliviens sont assez typiques : personnes, animaux et marchandises se confondent et s'entassent. Nous avons la chance d'avoir une place assise. Ne nous plaignons pas car beaucoup de locaux passerons 6 heures debout, dans le couloir, à bouger à la cadence de la piste chaotique. Une fois n'est pas coutume, nous nous embourbons !!! Mais grâce à la solidarité des passagers, il ne nous faudra que 5 minutes pour repartir. Quelques heures se passent et nous arrivons à Potosi, cité coloniale à plus de 4000 mètres d'altitude. Considérée comme l'une des plus belles villes d'Amérique du Sud, c'est l'un des trésors d'architecture baroque du continent. Elle s'offre le luxe de compter plus de 50 églises, aussi splendides les unes que les autres. A l'époque, Potosi était une ville où la richesse faisait partie du quotidien. En effet, en 1545, on découvre le Cerro Rico ou "montagne d'argent", qui devient le plus gros gisement d'argent de l'histoire de l'humanité. L'argent des mines fera la grandeur de l'Espagne et sera exploité par bien d'autres pays européens. Cependant, dès le début du XIXe siècle, les filons d'argent commencent à s'épuiser et la ville tombe rapidement en décadence.

A présent, une question se pose à nous : "On les visite, ces mines ?". "Germinal", on l'a lu, on sait que c'est atroce, alors pourquoi aller observer la dureté de vie des mineurs au XXIe siècle ? Dans quel sens il n'y a pas une part de voyeurisme ? Comment ne pas se sentir gêné, en tant que touriste partant à la découverte (4 heures) des conditions de travail épuisantes d'hommes n'ayant pas le choix ? Arrêtons de réfléchir et enfilons nos tenues de combat ! Exploitées encore, ces mines ne sont plus ce qu'elles étaient. Les mineurs sont à présent organisés en coopératives privées et s'exploitent eux-mêmes, le rendement est si faible. Aucune protection sociale, le salaire varie en fonction du poste occupé. Chacun est responsable de sa propre production. Du traitement, il faut bien sûr déduire l'achat de carbure de calcium, la dynamite, le reversement à la coopérative... Mineur est question d'honneur et se perpétue de génération en génération. Certains commencent dès l'âge de 13 ans. L'espérance de vie est de seulement 45 ans... Pas moins de 120 mines et 6000 mineurs. Laborieux travail quotidien durant lequel ces hommes ne s'arrêtent pas durant 8 heures. Pas de pose déjeuner ! Pour couper la faim et avoir de l'énergie, ils mâchent des feuilles de coca !!! C'est atroce. Je me sens si nulle d'observer cette misère humaine, esquissant des sourires gênés aux mineurs, qui, eux, ne l'ont pas perdu. Les conditions sont si difficiles : longs tunnels étroits où l'on marche, courbés en deux. Il fait froid puis chaud. L'air est difficilement respirable (poussière, amiante, salpêtre...). On escalade des échelles boueuses et raides pour observer un pauvre homme perforant une galerie, puis on redescend. Ensuite, on s'assoit devant le "Tio", déité protectrice des mineurs, à qui ils offrent feuilles de coca, alcool et cigarettes. Je l'ai vu de mes propres yeux et avec du recul, jamais je ne referai une telle visite. Ce genre de tourisme m'exaspère. Si au moins je connaissais la participation qui leur est reversée sur les 4 $ que j'ai payés... J'en ai été mal toute la journée durant... Cela renvoit tellement à nos conditions de vie si aisées. Alors, un peu d'humilité, et cessons de nous plaindre pour la moindre chose ...Moi la première !!!

C'est le moment des adieux avec Ève. Une nouvelle page de ce voyage se tourne et elle fut très belle. Elle va continuer son périple en Bolivie tandis que moi, je retournerai en Argentine. Plus que jours avant de reprendre l'avion de Santa Cruz, direction Santiago du Chili puis Mendoza. Entre-temps, je m'arrête une nuit à Sucre, capitale constitutionnelle du pays (hé non, ce n'est pas La Paz !).

Après un mois de voyage en solitaire, je dresse un bilan positif. Ce qui était de l'ordre "du cauchemar" il y a 4 semaines, à savoir : réaliser que je ne pouvais suivre Vincent dans ses exploits les plus fous, voyager seule sur une terre inconnue, s'est transformé en expérience unique et vraiment enrichissante. Pour être honnête, au départ, je souhaitais rentrer en France. Mais, au fond, à quoi bon ? Pourquoi jouer la facilité ? Pour avancer dans la vie, il faut savoir vaincre ses peurs, tenter de se réaliser par soi-même et vivre de nouvelles choses. Mais c'est pas toujours évident, même à 28 ans ! Aujourd'hui, je suis la plus heureuse et me sens beaucoup plus légère. J'ai enfin réussi à me décentrer complètement et vivre pleinement les moments. Il fallait que je me retrouve seule face à moi-même pour réaliser que j'étais capable de vivre de belles choses aussi par moi-même. Manque de confiance, quand tu nous tiens !!! Le voyage, c'est aussi cela. Une exploration de soi, une découverte, un renforcement personnel et une ouverture à la vie !!!

Les retrouvailles avec Vincent n'en sont que plus belles. Pour ma part, je suis émue et vis l'Aconcagua à travers ses récits imagés et vivants. Nous échangeons sur nos découvertes et nos ressentis respectifs. Moments simples et délicieux. Nos chemins se croisent, direction San Ignatio Mini où nous visitons ses missions jésuites avant de nous extasier devant les célèbres chutes d'Iguaçu. De nouveau, un pur instant de bonheur face à la beauté de "Dame Nature". Le soleil rend le spectacle encore plus éblouissant. Comme promis, Isa, j'ai jeté une pièce dans l'eau en faisant un voeu. L'avenir nous dira si la magie du lieu s'exerce !

Nous quittons à présent l'Argentine pour le Brésil. Ce pays m'a enchanté et c'est la première fois, durant notre périple, que je me rends compte que je pourrais bien y vivre.

Vincent :

Nous passons la frontière à Puerto Quijao qui semble être le lieu de tous les trafics et après une nuit passée sur cette plate forme du business en tout genre, nous embarquons à bord du réseau ferroviaire bolivien. Après vingt heures de trajet et au moins autant d'arrêts à travers le Pantanal bolivien, nous arrivons à Santa Cruz, capitale de la province du même nom. Nous enchaînons directement au petit matin sur douze heures de bus, avant de faire une halte d'une nuit à Cochabamba. Nous voici désormais au dessus de l'Amazonie et de l'altiplano et, dès le lendemain, nous poursuivons en direction de La Paz. Nous nous rapprochons une nouvelle fois de la Cordillère des Andes et traversons de magnifiques villages au coeur de l'altiplano. A présent, les singes et les perroquets font place aux lamas et aux condors.

Je retrouve la Bolivie et La Paz pour la troisième fois dans ma vie de voyageur et de nombreux endroits me sont devenus presque familiers. Le très coloré "Mercado de llansa" avec ses merveilleux jus et salades de fruits, le "comedor popular" où l'on mange au milieu des Boliviens pour moins d'un euro à deux, ou encore l'hôtel Torino, ancien palais aux allures baroques reconverti en hôtel pour routards, à côté de la place Murillo, où siège le gouvernement. Après trois jours d'acclimatation, nous partons pour 6 jours de trekking et d'ascension dans la Cordillère Royale, au pied du Condoriri , la montagne en forme de condor.

Tout commence très mal : en attendant notre guide dans la rue face à l'hôtel, je me fais voler le sac à dos de Magali, contenant son appareil photo avec heureusement peu de matériel à l'intérieur... La veille, nous avions par chance fait graver et expédier les derniers CD-ROM contenant nos photos de l'Argentine et du Brésil.

Il est temps pour nous alors de retrouver les montagnes et les villages aymara loin des troubles de La Paz. La vie sur l'altiplano, bien que très dure, est un émerveillement, ses habitants sont très chaleureux et très accueillants et nous passons une première nuit parmi eux dans le village de Tuni, à 4500 mètres d'altitude. Le lendemain, nous gravissons le pico Austria, à 5350 mètres, en longeant sa crête, sous la neige et sans visibilité. C'est une grande première pour Magali, et c'est de très bonne augure avant l' ascension du Huyana Potosi (6088 m), que nous projetons de faire le dernier jour...

Nous bivouaquons sous la neige, au camp de base du Condoriri et après une nuit très humide, nous franchissons un premier col enneigé à plus de 5000 mètres. Nous pouvons apercevoir enfin les sommets et les lacs environnants, mais malheureusement, la pluie puis la neige font vite leur retour et nous passons le reste de la journée à patauger dans la boue, les pâturages et les nombreux ruisseaux, au milieu des lamas intrigués par notre présence... Au bout de  8 heures de marche et d'un dernier col à 5000 mètres, nous arrivons au camp de base du Huyana Potosi, à 4750 mètres d'altitude. Nous quittons ici avec regret nos muletiers, avec qui nous avons passé 3 jours sur l' altiplano dans des conditions difficiles.

Le lendemain, notre guide, Teophilo, nous initie à l'escalade sur glacier. Nous faisons l'apprentissage des crampons et des marteaux-piolets sur les parois verticales des séracs ainsi que du rappel au milieu des crevasses. C'est très ludique et très physique et nous rentrons vidés le soir au campement... Nous poursuivons notre ascension le lendemain, jusqu'au camp d'altitude, à 5200 mètres, avant d'attaquer le sommet le jour même, à minuit, après quelques heures de repos sous la tente. Nous sommes en forme et bien acclimatés, et notre progression nocturne à la lumière de nos frontales, sous les étoiles, est un vrai régal. Nous escaladons un premier mur de neige verglacé d'environ 45 mètres, vers 5700 mètres, avant d'arriver, toujours de nuit, à 200 mètres au pied du sommet. Nous grimpons la dernière heure le long d'une pente à 70°, assurés par notre guide, les mollets tétanisés et le souffle court... A 5h45, nous arrivons, encordés ensemble, sur la minuscule corniche sommitale, entre les lumières de La Paz au loin et les étoiles au-dessus de nos têtes. Nous attendons le lever du soleil, fatigués par la fin difficile de l'ascension. Il ne fait pas froid, il n'y a pas de vent, c'est le calme absolu, propre à la haute montagne. Un moment fort du voyage que je suis heureux de pouvoir partager avec Magali, qui a su se surpasser pour arriver au sommet. C'est pour cela que j' aime la montagne, pour ces instants uniques de sérénité, qui savent faire oublier tant les souffrances de la montée que les vicissitudes de la vie quotidienne...

Le jour se lève à présent. Nous n'avons pas d'appareil photo, aussi nous garderons très égoïstement ce jour gravé à tout jamais, de même que ceux passés sur l'altiplano,  auprès des aymaras et du Condoriri. Alors que nous entamons la descente en rappel, Robert, un Allemand croisé au sommet, nous photographie furtivement. Nous garderons une trace malgré tout... Le chemin du retour laisse apparaître les merveilles glaciaires dissimulées par la nuit à l'aller. Pour une fois, nous avons beau temps le jour J et nous savourons la descente vers le camp d'altitude au milieu des crevasses, des séracs et des ponts de neige. Nous marchons le coeur léger dans un cadre grandiose, c'est le bonheur absolu !

Après avoir remercié Teo et Andres, nos guides, nous plongeons en bus vers La Paz, retour à la civilisation...

Demain, après une nuit de repos, nous continuerons en direction du lac Titicaca puis Cuzco, l'ancienne capitale inca du Pérou, avant-dernière étape de notre périple. Ce voyage est de loin la meilleure chose que j'ai accomplie jusqu'à présent dans ma vie, je crois d'ailleurs que je pourrai continuer éternellement ainsi... 

          
Premiers pas en Bolivie
     
Laguna verde avec en arrière-plan le volcan Licancabir Désert de Dali
     
La coca, ça colle aux dents ! Les geysers "Sol de la Mañana"  
     
Paysages magiques de la Bolivie
     
Soirée animée par Diego et sa guitare à Uyuni En route pour Potosi, on est embourbés !
     
Le Salar d'Uyuni
     
 
Les mines de Potosi  

Ascension de l'Huyana Potosi (6088 mètres) :

     
     
     
     
     
     
     
     
     
     

Retour à la carte principale